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La censure au Liban

Liberté de la presse: rapport annuel 2004

Après une sombre année 2002, la situation de la liberté de la presse au Liban s’est encore dégradée en 2003. Des poursuites judiciaires infondées et un attentat contre une chaîne de télévision ont fait perdre au Liban sa spécificité d’ »oasis de liberté » du monde arabe.

Quelques attentats ou tentatives d’attentats terroristes ainsi que des confrontations armées sporadiques se sont produits en 2003 au Liban. L’opposition à la guerre en Irak a donné lieu à d’importantes manifestations. En avril, au lendemain de l’invasion américaine en Irak, la Syrie a donné son feu vert à un changement ministériel attendu, en raison des rivalités persistantes entre le président libanais, Emile Lahoud, et le Premier ministre, Rafic Hariri.
Ce changement de cabinet a donné naissance au gouvernement le plus prosyrien depuis la satellisation du Liban par la Syrie il y a une quinzaine d’années. Rafic Hariri, le Premier ministre sortant, a été chargé de former ce nouveau gouvernement, dirigeant ainsi son cinquième cabinet depuis 1992. Ce milliardaire dynamique, ami du roi Fahd d’Arabie saoudite et du président français Jacques Chirac, a réalisé dans les médias libanais d’importants investissements. Outre sa mainmise sur la chaîne de télévision Future TV, le quotidien Al-Mustaqbal et Radio Orient, dont il est le propriétaire, ces participations financières lui ont permis d’accroître son influence sur la presse libanaise.
Dans le domaine des médias, l’année a commencé par une censure. Plusieurs chancelleries occidentales se sont alors inquiétées de la restriction de la liberté des médias audiovisuels libanais, faisant ainsi référence à la fermeture définitive, fin 2002, de la chaîne MTV (Murr Television), proche de l’opposition antisyrienne.

Un média pris pour cible

Dans la nuit du 14 au 15 juin 2003, les locaux de la chaîne de télévision Future TV (Al- Mustaqbal) et de la radio Radio Al-Charq (Radio Orient), qui appartiennent au Premier ministre Rafic Hariri, ont été gravement endommagés par une attaque à la roquette, qui n’a pas fait de victimes. Depuis la fin de la guerre civile, en 1990, les médias libanais n’avaient plus été les cibles d’attentats terroristes. Une enquête a été ouverte.

Pressions et entraves

Le 1er janvier 2003, la chaîne privée libanaise New Television (NTV) est interdite de diffuser une émission sur l’Arabie saoudite. Cette émission, intitulée « Sans censeur », donnait la parole à l’opposition saoudienne. Cette décision fait suite au refus du patron de NTV, Tahsin Khayat, d’annuler l’émission comme le lui demandait le ministre de l’Information, Ghazi Aridi. Le procureur général de la République, Adnane Addoum, affirme : « L’interdiction a été décidée pour sauvegarder les bonnes relations entre le Liban et l’Arabie saoudite où travaillent un grand nombre de Libanais (150 000 environ) ». Mais la méthode utilisée est révélatrice de la véritable nature de cette mesure : le ministère des Télécommunications, à la demande du Premier ministre Rafic Hariri, un ami personnel du roi saoudien Fahd Ben Abdulaziz, a pris la précaution de couper le relais satellitaire de la station de Jouret al-Ballout (nord de Beyrouth) pour empêcher la diffusion de l’émission vers le monde arabe.
Le 13 mars, une enquête judiciaire est ouverte contre An-Nahar, l’un des principaux journaux du pays, en raison d’un article qui a provoqué une vive polémique dans le pays. La parution dans le quotidien, le 11 mars, d’une tribune intitulée « Lettre à Dieu » a déclenché la colère du cheikh Taha Saboungi, mufti de Tripoli (métropole du nord du Liban à majorité sunnite). Akl Awit, journaliste chrétien également connu comme un poète profondément croyant, y exhortait Dieu à « ne plus rester les bras croisés et (à) juguler les Etats-Unis » pour les empêcher d’attaquer l’Irak. Dénonçant ce texte comme « blasphématoire » et « plus nocif que le satanisme », le cheikh Taha Saboungi a demandé que le parquet, ainsi que les ministères de l’Information et de l’Intérieur, se saisissent de l’affaire. Dans un communiqué du 11 mars, des docteurs musulmans réunis à Dar El-Fatwa, la plus haute instance religieuse de la communauté sunnite au Liban, exhortent les autorités à interdire la distribution du journal à Tripoli. Le patron et directeur d’An-Nahar, Gibran Tueni, les Ordres de la presse et des journalistes s’élèvent aussitôt contre les déclarations des responsables musulmans qu’ils qualifient d’ »hostiles à la liberté de la presse ». Le quotidien remet, le 12 mars, une protestation écrite à M. Addoum contre les « menaces » proférées à son encontre.
Le 21 mai, la cour d’appel du tribunal des imprimés confirme le jugement du 30 juillet 2002 condamnant la journaliste Saada Allawo, du quotidien As-Safir, à payer une amende d’un million de livres libanaises (environ 600 euros) pour un reportage considéré comme une « injure au corps de la justice ». Elle est accusée d’avoir voulu semer le doute dans l’opinion publique sur l’honnêteté de la justice libanaise en publiant une série d’articles sur la disparition d’une fillette à Beyrouth dans les années 90.
Le 22 juillet, le gouvernement libanais intente des poursuites judiciaires contre le journaliste Amer Mashmoushi, accusé d’avoir insulté et calomnié le président libanais, Emile Lahoud, dans un article publié le 17 juillet dans le quotidien Al-Liwaa. Ce journaliste et le directeur d’Al-Liwaa, Noureddine al-Hosri, encourent jusqu’à deux ans de prison. La date du procès n’est pas arrêtée par le juge Joseph Maamari qui a décidé de renvoyer l’affaire devant le tribunal des imprimés. Dans l’article incriminé, Amer Mashmoushi accusait un ministre proche du Président d’avoir réalisé d’importants profits grâce à l’importation de gravier après la fermeture de carrières de pierre et de sable au Liban.
Le 5 décembre, le procureur général militaire ordonne l’arrestation de Tahsin Khayat, propriétaire de la chaîne de télévision privée NTV (New Television), accusé de « liens présumés avec Israël » et d’ »atteinte aux relations du Liban avec des pays amis ». Tahsin Khayat, également homme d’affaires opposé au Premier ministre libanais, Rafic Hariri, est mis dès le lendemain en liberté provisoire. D’après certains observateurs, son arrestation est liée à la couverture exhaustive par NTV d’une affaire crapuleuse, celle de la banque Al-Medina, mettant en cause plusieurs personnalités politiques du pays.
Le 16 décembre, le ministère de l’Information reproche à la télévision NTV d’avoir violé la loi sur l’audiovisuel en diffusant une information « subjective ». La chaîne privée est interdite de diffuser tout journal d’information et toute émission politique pendant une durée de 48 heures, du 16 au 18 décembre à 15h00. Le 12 décembre, la chaîne avait mis en cause le chef des services de renseignements militaires syriens au Liban, le général Roustom Ghazalé, et le directeur général de la Sûreté générale libanaise, le général Jamil Sayyed, dans le refus de délivrer un permis de travail et une carte de séjour à l’une de ses présentatrices de nationalité soudanaise, Dalia Ahmad. Les observateurs évoquent une campagne de harcèlement contre la chaîne.

http://www.rsf.org/article.php3?id_article=9892

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