Cette année 2010 a vu la censure cinématographique revenir aux devants de l’actualité, au Liban notamment. Il y a une semaine, iloubnan.info vous informait de la condamnation à six ans d’emprisonnement ferme pour le cinéaste iranien Jafar Panahi par les autorités de la république islamique. Fervent partisan de l’opposition, et ayant soutenu le réformateur Mir Hossein Moussavi, il avait été accusé de « propagande contre la république islamique ». Il n’est ici pas notre propos de revenir, de se positionner pour ou contre cette condamnation. Mais cet exemple montre bel et bien combien que le problème de la censure au Liban est d’une complexité rare : l’objectif visé par les autorités publiques étant de censurer les films qui pourraient raviver des tensions plus ou moins enfouies entre les communautés libanaises, politiques ou religieuses.
Le film Chour Sar, de De Gaulle Eid, a fait couler beaucoup d’encre depuis l’annulation de sa projection au Festival du Film Libanais, à la fin du mois d’août. S’il ne s’agit là d’une véritable censure, il n’en reste pas moins que cette non-projection est due à l’absence d’autorisation de la Sureté Générale, instance chargée du filtrage et de la censure. Documentaire aux caractéristiques autobiographiques relativement évidentes, le film raconte l’histoire de son réalisateur qui commence par la mort d’une dizaine de membres de sa famille en 1980, en pleine guerre civile donc. Mais plus que de montrer cette perte et d’étudier le manque qui s’en suivra, De Gaulle Eid questionne aussi ce qui dérange aujourd’hui : l’impunité dont bénéficient les meurtriers, arrêtée par l’amnistie générale de 1993.
Si le réalisateur avait marqué son désaccord avec cette non-décision de la Sureté Générale, il en avait cependant accepté les conséquences, en se pliant aux volontés de l’autorité publique. Pierre Sarraf, fondateur de la société de production Né à Beyrouth, avait alors indiqué : « si on doit projeter un film, et qu’il y ait des bagarres dans la salle, ça n’a aucun intérêt […] Nous préférons évidemment ne pas polémiquer ou même communiquer outre mesure puisqu’il vaut mieux attendre, et projeter le film dans les conditions légales ». Il avait aussi ajouté que la projection d’un tel film nécessitait un « cadre préparé ».
Suite de l’intrigue : fin du mois d’octobre, pour le Festival du Film International du Film de Beyrouth où la projection de Chour Sar a aussi été annulée. Pour les mêmes raisons qu’au Festival du Film Libanais. Le jury du BIFF et la Beirut Film Foundation, emmené par Colette Naufal, avaient néanmoins choisi de décerné un prix à De Gaulle Eid, le « prix spécial du jury ». Une façon aussi de faire pression sur les instances responsables de la censure. Réussite en demi-teinte puisque la Sureté Générale, à la fin novembre, avait finalement décidé d’autoriser la projection du film, mais seulement dans un cadre privé. Le film a finalement pu être projeté au Liban, au hangar d’Umam, ONG dont le travail se porte sur le problème de la mémoire au Liban. Les projections publiques restant interdites…
Par Simon Copin
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Plus d’info sur le site du Hangar UMAM où le film a été projeté le 26 novembre 2010:
http://www.umam-dr.org/projectInfo.php?fromTab=pastProjects&projectId=119