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La censure au Liban

Liberté de la presse: rapport annuel 2003

Cette année a vu une dégradation très nette de la liberté de la presse au Liban. Malgré des condamnations unanimes, la chaîne de télévision privée Murr Television (MTV) a été définitivement fermée. Les poursuites judiciaires contre des journalistes se sont multipliées, ainsi que les mesures de censure.

Alors que le Liban a cherché à renforcer son image d’ouverture en accueillant cette année plusieurs sommets internationaux, les autorités ont dangereusement réduit la liberté des médias dans le pays, notamment des médias d’opposition. Lors du sommet arabe qui s’est tenu les 27 et 28 mars à Beyrouth, les principaux leaders du monde arabe approuvent le plan de paix proposé par le prince Abdallah d’Arabie saoudite pour résoudre le conflit israélo-palestinien. En octobre, c’est au tour des chefs d’Etat des pays membres de la Francophonie de se réunir en sommet à Beyrouth. Le 23 novembre 2002, a lieu en France la conférence internationale « ParisII » au cours de laquelle plusieurs pays accordent une aide financière au Liban, dont l’économie croule sous le poids d’une dette publique de trente milliards de dollars. Sur la scène nationale, les tensions politiques se sont accrues entre le pouvoir libanais prosyrien et l’opposition antisyrienne, notamment les autorités religieuses chrétiennes. Le 20mars, quelques jours avant le sommet arabe, plus de 500 étudiants manifestent dans les rues de Beyrouth contre l’occupation syrienne au Liban. Sur fond de difficultés économiques et d’instabilité régionale, les tensions confessionnelles, loin de décroître, semblent de plus en plus exacerbées.

Les attaques de la Sûreté générale, suivies de poursuites judiciaires contre des journaux et des journalistes, se sont multipliées cette année. Elles visent notamment des médias de l’opposition antisyrienne n’appartenant pas à des personnalités politiques au pouvoir. En septembre-octobre, les nombreuses manifestations de soutien à la chaîne de télévision Murr Television (MTV) ont été interdites par le gouvernement. Le paysage audiovisuel libanais, qui comptait six chaînes, n’en compte donc aujourd’hui plus que cinq. Malgré ce net recul de la liberté des médias au Liban, aucune loi liberticide contre Internet n’a été votée. En mars, Radio France Internationale (RFI) ouvre un bureau régional à Beyrouth. Le regroupement dans cette ville des moyens de RFI et de sa filiale Radio Monte Carlo-Moyen-Orient, qui diffuse en arabe, « participe du développement du groupe dans une région où il est déjà très présent », déclare son président-directeur général, Jean-Paul Cluzel.

Pressions et entraves

Le 3 janvier 2002, la Sûreté générale libanaise décide de soumettre à la censure préalable le quotidien panarabe As-Sharq Al-Awsat. Le quotidien à capitaux saoudiens, basé à Londres, doit recevoir une autorisation quotidienne pour la distribution de ses exemplaires au Liban. Cette mesure, qui entraîne un retard de plusieurs heures dans la distribution du journal, fait suite à la publication, le 31 décembre 2001, d’un article relatant une tentative d’assassinat contre le président libanais, Emile Lahoud, à Monte-Carlo. Le bureau de presse de la présidence avait alors démenti l’information dite « montée de toutes pièces ». As-Sharq Al-Awsat avait présenté des excuses. Le 4 janvier, le ministre de l’Information, Ghazi Aridi, critique l’imposition d’une censure préalable à un journal disposant d’une licence au Liban et appelle à sa levée immédiate, qui intervient le 10 janvier.

Le 23 mars, une douzaine de journalistes sont frappés par des membres des forces de l’ordre alors qu’ils se trouvent sur les ruines d’un immeuble qui vient de s’effondrer dans le quartier de Mazraa (Beyrouth), faisant quatre victimes. Les présidents des ordres de la presse et des journalistes, respectivement Mohammed Baalbacki et Melhem Karam, dénoncent dans un communiqué commun les violences physiques et verbales subies par les journalistes suivants : Edmond Sabila, Richard Assaad et Gebran Maftoum de la chaîne MTV, Saïd Baytamouni de la chaîne LBC, Amine Abi Saad de la NTV, Wael Ladki du quotidien As Safir, Mohamed Assi du quotidien An Nahar, Khalil Hassan du journal Daily Star, Fadi Abou Ghalioum de Dar as-Sayad, Georges Hatem de l’Orbit, Mohammed Zaghloul d’un quotidien koweïtien, et Ali Lamaa, photographe d’As-Sharq. MM Baalbacki et Karam ont assuré que les journalistes n’avaient violé aucune règle, exigeant « une enquête rapide pour dévoiler l’identité des responsables ».

Le 9 mai, la justice libanaise abandonne les charges à l’encontre de Jamil Mroue, propriétaire du quotidien The Daily Star, à la suite de la publication dans le journal américain International Herald Tribune, qu’il imprime et distribue au Liban, d’un encart publicitaire pro-israélien. Depuis 2001, le International Herald Tribune est distribué simultanément avec le quotidien Daily Star au Liban, en Jordanie et dans les Emirats arabes unis. Le 9 avril, Ghazi Aridi, ministre de l’Information, avait demandé que « les mesures légales adéquates soient prises » contre le quotidien pour avoir publié, le 5 avril, un encart qualifié de « contraire aux lois et portant atteinte aux sentiments nationaux ». Sur un quart de page et sous le titre « Israël, nous sommes avec toi aujourd’hui plus que jamais », le président de la Ligue antidiffamation, basée à New York, exprimait « sa solidarité avec l’Etat, le gouvernement et le peuple d’Israël ». Selon le code pénal libanais, la publication de matériel de propagande en faveur d’Israël est passible de peines allant de trois à quinze ans de prison. A deux reprises par la suite, le 30 avril et le 13 juin, et en concertation avec le International Herald Tribune, le Daily Star décide de ne pas distribuer son partenaire américain pour éviter de nouvelles poursuites judiciaires en raison du même encart publicitaire.

Une journaliste du quotidien As Safir, Saada Allawo, est condamnée le 30 juillet à une amende d’un million de livres libanaises (670 dollars) pour un reportage considéré comme « une insulte à la justice ». Reconnaissant que la journaliste n’avait pas eu « l’intention de nuire », la justice a réduit le montant initial de l’amende. Saada Allawo avait été traduite devant le tribunal des imprimés le 8 avril à la suite d’une série d’articles concernant la disparition d’une fillette à Beyrouth dans les années 90 pour « mépris de la justice et insinuation concernant une affaire en cours d’instruction ». Elle encourait une peine de prison de trois ans au maximum. La journaliste a décidé de faire appel du verdict.

Le 5 août, le procureur général, Adnane Addoum, ouvre une information judiciaire contre la principale chaîne de télévision du pays, la Lebanese Broadcasting Corporation (LBC), accusée par le ministre de l’Information, Ghazi Aridi, d’avoir donné à un crime crapuleux une dimension confessionnelle. Le 6 août, le parquet engage des poursuites contre LBC et son directeur de l’information, Jean Feghali, accusés d’avoir expliqué par des motifs religieux l’assassinat, le 31 juillet, de huit personnes, dont sept chrétiens. La LBC avait répercuté les dires d’un proche des victimes selon lequel le tueur avait « choisi ses victimes une à une ». Cette version des faits avait suscité un grand émoi parmi la classe politique et dans le pays. Les sanctions encourues sont une peine de prison allant de un à trois ans et une amende pouvant aller jusqu’à 100 millions de livres libanaises (68 000 dollars).

Le 18 octobre, le journaliste Gédéon Kouts, accrédité au titre du mensuel de judaïsme français L’Arche, est interdit d’accès au centre de presse du IXe Sommet de la francophonie qui se tient à Beyrouth du 18au 20 octobre. Le journaliste, qui possède la nationalité française et israélienne, est également correspondant permanent en France de la chaîne israélienne Israel Channel Two. Il est pris à partie par des journalistes libanais qui lui reprochent d’avoir menti sur le média pour lequel il travaille. Les services de sécurité libanais le reconduisent à son hôtel, où il est consigné jusqu’à la fin du sommet.

A partir du mois de mai commence la saga judiciaire contre la chaîne de télévision privée MTV. Le 29 mai, suite à un rapport de la Sûreté générale, le procureur général, Adnane Addoum, ouvre une information judiciaire contre MTV pour « propagande électorale illicite ». Le propriétaire de la chaîne, Gabriel Murr, est candidat à des élections législatives partielles en juin qui l’opposent à sa nièce, Myrna, qui est également la sœur du ministre de l’Intérieur Elias Murr. Gabriel Murr récuse ces accusations et décide de supprimer la diffusion des clips électoraux. Le 8 août, le procureur de la Cour de cassation de Beyrouth, Joseph Maamari, engage de nouvelles poursuites contre MTV pour « atteinte aux relations avec la Syrie, à la dignité du chef de l’Etat Emile Lahoud et propagande électorale illicite ». Selon M. Maamari, le programme politique « Sondage » contient des séquences qui « troublent les relations du Liban avec un pays frère (la Syrie) (…) ». La justice retient la seconde plainte pour « propagande électorale illicite » et décide qu’il s’agit d’une infraction à l’article 68 de la loi électorale de 1996. La chambre des référés du tribunal des imprimés ordonne, le 4 septembre, la fermeture de MTV ainsi que des programmes en arabe de Radio Mont Liban, qui appartient au même groupe de presse. Les gendarmes évacuent le personnel des locaux de MTV manu militari. Un photographe de l’Agence France-Presse, Anouar Amro, doit être soigné pour une entorse au poignet. Les avocats de la chaîne font appel du verdict qui est dénoncé par la France, l’Union européenne, les Etats-Unis ainsi que plusieurs organisations de défense de la liberté de la presse. Au Liban, l’opposition chrétienne antisyrienne ainsi que de nombreuses personnalités politiques, dont le ministre de l’Information, critiquent cette décision. Un premier recours en appel est rejeté le 21 octobre. Les avocats déposent un nouveau recours le 28 octobre, de nouveau rejeté le 27 décembre, rendant la fermeture du média pour ainsi dire définitive. Du fait des poursuites judiciaires en cours contre la chaîne LBC, télévision privée également proche de l’opposition chrétienne antisyrienne, certains observateurs parlent d’une campagne de répression contre les médias d’opposition.

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