Reporters sans frontières a demandé, dans une lettre adressée au procureur général Adnan Addoum, la suspension de l’enquête judiciaire ouverte, le 13 mars 2003, contre le quotidien libanais An-Nahar en raison d’un article qui a provoqué une vive polémique dans le pays.
« La liberté de la presse n’a plus droit de cité au Liban, ce pays du monde arabe autrefois exemplaire en la matière », a déclaré Robert Ménard, secrétaire général de l’organisation. « Alors que la justice libanaise devrait garantir la liberté de penser et la concorde entre les religions, son attitude inquisitrice ne peut au contraire qu’aggraver les tensions confessionnelles. Un journal est victime de violentes menaces, des individus appellent à le brûler et à l’interdire de distribution, et qui le parquet décide-t-il de poursuivre ? Le journal lui-même ! Une tribune est, par définition, l’expression d’une opinion et, de notre point de vue, rien dans ce texte ne peut être considéré comme diffamatoire à l’égard d’aucune croyance religieuse. Cette enquête judiciaire est infondée », a-t-il ajouté.
La parution, le 11 mars 2003, dans le journal libéral An-Nahar, l’un des principaux quotidiens du pays, d’une tribune intitulée « Lettre à Dieu » a déclenché la colère du cheikh Taha Saboungi, mufti de Tripoli, métropole du nord du Liban à majorité sunnite. Dénonçant ce texte comme « blasphématoire » et « plus nocif que le satanisme », le leader musulman a publiquement réclamé que le parquet, ainsi que les ministères de l’Information et de l’Intérieur se saisissent de l’affaire. Des docteurs de la foi musulmane se sont réunis à Dar El-Fatwa avec des « jeunes » de Tripoli et ont appelé, dans un communiqué daté du 11 mars 2003, à interdire la distribution du journal à Tripoli et à en « brûler » toutes les copies.
Dans ce texte, Akl Awit, journaliste chrétien également connu comme un poète profondément croyant, exhortait Dieu à « ne plus rester les bras croisés et (à) juguler les Etats-Unis » pour les empêcher d’attaquer l’Irak.
Le patron et directeur d’An-Nahar, Gibran Tueni, les Ordres de la presse et des journalistes se sont élevés dès le 11 mars 2003 contre les « menaces » et les « incitations à la dissension et au désordre », estimant que les déclarations des responsables musulmans étaient « hostiles à la liberté de la presse ». Le quotidien avait remis, le 12 mars 2003, une protestation écrite à M. Addoum contre les « menaces » proférées à son encontre.